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Eretria-Amarynthos Survey Project (EASP 2021-2025)

L’exploration du sanctuaire d’Artémis se double d’un projet de prospection de la région comprise entre Érétrie et Amarynthos (EASP), avec pour objectif de préciser la relation entre le sanctuaire et les dèmes de la plaine, l’occupation du territoire, le tracé des voies de communication ou encore l’économie rurale de la région. Au terme de la troisième campagne qui s’est déroulée en 2023, 21km2 ont été parcourus de façon systématique et méthodique, mettant au jour 189 structures, toutes périodes confondues. Par sa couverture géographique, la variété d’approches employées et les moyens techniques investis, l’EASP s’impose d’ores et déjà comme l’un de projets de prospection les plus ambitieux de la dernière décennie en Grèce.

 

Bibliographie
S. Fachard et al., The Artemision at Amarynthos: The 2023 Season. AntK 67(2024):95–109.
S. Fachard et al., The Artemision at Amarynthos: The 2022 Season. AntK 66(2023):93–100.
S. Fachard et al., The Artemision at Amarynthos: The 2021 Season. AntK 65(2022):128–142.

Rapports Antike Kunst

Méthode

La méthode adoptée est une méthode de prospection archéologique dite «intensive», qui consiste à arpenter des unités de prospection en marchant en ligne à intervalles de 10m et en additionnant systématiquement tous les tessons de céramique, fragments de tuile et outils lithiques observables en surface. Les comptages sont ensuite répertoriés dans un système d’information géographique (SIG), qui permet d’afficher les densités de céramique et de tuiles, tout en cartographiant précisément les vestiges antiques visibles en surface. La prospection pédestre est complétée par de la télédétection s’appuyant sur une nouvelle couverture LiDAR. Cette méthode, communément nommée remote sensing, offre la possibilité aux archéologues d’explorer les parcelles moins accessibles pour les équipes de manière «extensive» en ciblant les zones susceptibles de livrer des vestiges.

Prospections EASP: densités de céramiques et de tuiles

Cadre de l’étude

La zone d’étude inclut la vaste étendue côtière qui prend place entre Érétrie et Amarynthos, le bassin-versant du Sarandapotamos ainsi que les piémonts des monts Voudochi et Servouni. En 2021, les équipes se sont concentrées à l’est d’Érétrie, entre Magoula et la bourgade moderne d’Amarynthos. La campagne 2022 avait comme objectif d’explorer deux microrégions de la plaine, séparées par le delta du Sarandapotamos: à l’ouest, le secteur compris entre Aghios Dimitrios et le village actuel d’Amarynthos; à l’est, le voisinage de l’Artémision et les pentes occidentales du mont Servouni. Enfin, la mission menée en 2023 avait pour ambition de couvrir la zone supérieure de la plaine érétrienne, de faire la jonction avec la vallée du fleuve Sarandapotamos, et de poursuivre la prospection des pentes du Servouni.

Une vaste plaine côtière bordée de montagnes

Premier aperçu de l’occupation humaine

La prospection a pu mettre au jour plusieurs sites remontant à la fin du Néolithique et du début de l’Âge du Bronze, qui s’ajoutent aux sites préalablement connus à Érétrie, Magoula et Amarynthos. En revanche, aucun tesson daté du Bronze Moyen, du Bronze Récent ni même de l’Âge du Fer n’a été mis en évidence, ce qui suggère une occupation relativement discrète, voire inexistante dans ce secteur à ces périodes.

Près du rivage, l’occupation se densifie à partir du 6e siècle av. J.-C.; le développement de quatre sites inédits démontre le dynamisme de la région à l’époque archaïque. La présence de plusieurs habitats ruraux en dehors des sites d’Érétrie et d’Amarynthos confirme également le témoignage d’Hérodote qui mentionne certains de ces dèmes dans son récit du siège d’Érétrie par les Perses.

L’occupation de la bande côtière s’intensifie à l’époque classique. On constate une dissémination de l’habitat rural, marquée par la formation d’habitats secondaires et l’installation d’établissements agricoles. En parallèle, on note une densification de l’habitat groupé autour de plusieurs noyaux parsemés et plus diffus. Il s’agit d’habitats primaires que nous interprétons provisoirement comme des centres de dèmes à l’instar de celui d’Amarynthos, potentiellement représenté par une densité importante à moins d’un kilomètre au nord du sanctuaire. Au contraire, la partie supérieure de la plaine, caractérisée par un terrain plus pentu, présente des zones de haute densité céramique très clairement circonscrites, séparées entre elles par des aires de basse densité, ce qui permet de mieux délimiter les secteurs d’activité et les habitats antiques. Par ailleurs, cette région paraît moins densément occupée que la bande littorale, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’était pas exploitée d’un point de vue agricole, comme l’atteste la découverte d’une dizaine de fermes isolées des périodes classique et hellénistique.

À l’époque hellénistique, on observe une régression notable de l’occupation de la plaine. Si l’on parvient à reconnaître les principaux centres d’habitat de la période classique, ces derniers décroissent considérablement en taille, ce qui suggère une importante diminution de l’habitat rural. Cette tendance s’inverse à l’époque romaine puisqu’on remarque une légère hausse de l’occupation rurale, concentrée autour des principaux dèmes peuplés aux siècles précédents.

Durant l’Antiquité tardive, on remarque un regroupement de l’habitat autour de Kotroni et de Magoula ainsi que le développement d’un site à l’ouest de la bourgade moderne d’Amarynthos. Si la présence byzantine demeure très faible dans la zone comprise entre Érétrie et Amarynthos, on relèvera en revanche la forte densité de l’occupation byzantine dans toute la partie est de la plaine, notamment sur les pentes du Servouni, vraisemblablement sous l’impulsion du monastère d’Aghios Nikolaos.

Géomorphologie

Durant l’Antiquité, le paysage dans lequel le sanctuaire s’est développé était totalement différent de celui qui s’offre à nos yeux. En effet, si l’on remonte jusqu’en 4000 av. J.-C., on trouve une baie peu profonde, progressivement comblée par les sédiments de la rivière toute proche, le Sarantopotamos. La topographie des lieux se caractérise ensuite par les divagations du cours d’eau et la présence de marais. Comprendre l’évolution du site au fil des siècles implique donc de reconstruire cet environnement ancien et de mesurer son impact sur l’occupation humaine. Après des campagnes de carottages réalisées autour du sanctuaire par Matthieu Ghilardi (CNRS), l’intérêt s’est déplacé vers le bassin versant au débouché duquel Amarynthos se situe. Tibor Talas, géomorphologue à l’Université de Lausanne, applique un vaste arsenal de techniques pour étudier l’hydrologie de ce bassin, sa transformation et ses interactions avec des phénomènes anthropiques : cartographie du relief par laser (LiDAR), carottages dans les paléo-deltas de la rivière, datation des sédiments par luminescence (OSL), prospections sous-marines avec échosondeur, modélisations de l’évolution du terrain et reconstruction du couvert végétal antique. L’apport des géosciences permet ainsi de mieux comprendre les dynamiques d’érosion et d’alluvionnement, de les mettre en relation avec les densités de céramique observées en surface et de circonscrire les zones les plus propices à l’habitat et à l’agriculture sur la longue durée.

Prospection bathymétrique 2023